Privilège, expérience, exclusivité, qualité plus que quantité, bon, beau, savoir-faire et originalité : moyens limités oblige, toucher de près au raffinement si ce n’est au luxe est, pour une majorité d’individus, une finalité bien plus fantasmée qu’atteignable… à moins que ! Jamais le haut de gamme n’a semblé aussi accessible. Les frontières entre grande consommation et achats fastueux s’estompent pour le grand bonheur de certains, au détriment des « happy few » finalement plus si few que cela… ou pas.
Démocratisation du rêve
Le pouvoir d’achat n’a pas monté en flèche et les prix ne se sont pas effondrés mais les offres et produits «premium»
, «signature», «collection», «exclusif», parfumés à la truffe et ornés de feuilles d’or, aux noms italiens et aux packagings sur-travaillés ne cessent d’exploser. C’est ce que Venkatesh Rao, consultant et auteur américain a nommé le « premium médiocre », terme synonyme de « masstige » ou produits de prestige pour les masses. Et il faut dire que le marché se porte plutôt bien. En effet, d’après Euromonitor International, le chiffre d’affaire généré par la vente des petits accessoires de luxe s’élevait à 5,7 milliards de dollar en 2015, avec une estimation de 7,5 milliards pour 2020, soit une nette augmentation de plus de 30%.
Ce n’est en rien une nouveauté ; cette stratégie est massivement pratiquée dans le secteur de la mode depuis la création des offres de prêt-à-porter par les Maisons de Haute Couture. Pourtant, ce qui semblait autrefois constituer un monopole sectoriel tend aujourd’hui à rayonner dans des domaines divers via un « nivellement par le bas » dans le cas de marques haut de gamme ou un « nivellement par le haut » pour les marques accessibles.
Un savant jeu de signes et de symboles
Entre illusion d’offres haut de gamme et promesse d’exclusivité qui n’exclue personne, certaines marques cherchent à conquérir de nouveaux consommateurs aux besoins d’appartenances spécifiques par le déploiement d’un marketing embrassant les codes du luxe.
Et tout cela fait sens. Les consommateurs ne veulent plus simplement consommer des produits ; priorité aux univers, valeurs et imaginaires ! A l’ère d’Instagram et de la suprématie de l’image, la consommation est plus que jamais un marqueur d’identification, un signe presque ultime de la définition de soi, une démonstration manifeste de son mode de vie et de ses aspirations. La priorité revient à donner l’illusion que l’on consomme haut de gamme plutôt que réellement pouvoir le faire.
Il n’est pas nécessaire de toucher un salaire de ministre pour s’offrir une boîte de macarons Ladurée, des stylos ou des carnets Chanel ou une paire de Converse estampillée « Comme des garçons ». Car en réalité, ce n’est pas le produit , sa qualité ou son utilité qui compte, mais sa promesse: celle d’offrir une touche de prestige par le biais d’un logo ou d’un nom évocateur, un luxe accessible qui ne résonnerait plus comme un oxymore.
Bien plus qu’une stratégie de conquête, le recours au premium médiocre donne une toute nouvelle définition à la relation entretenue entre les clients, les prospects et la marque.
Le sentiment d’exclusivité favorise l’attachement et la fidélité. Dans le cas des marques de luxe proposant des produits accessibles, cette stratégie est vécue comme une invitation, un message d’inclusion dans un monde qui leur était auparavant interdit. Dans le cas des marques de grande consommation, ces nouvelles offres créent une certaine proximité, une
« bulle de consommation » extirpant le client de la masse en lui signifiant son importance via une offre plus sophistiquée.
Dans les deux cas, le bénéfice est réciproque : le client se sent compris et privilégié et développe alors un attachement plus profond à la marque.
Un premium fondé sur l’illusion et l’apparence
A la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen, un économiste américain, se rend compte que pour accroître les ventes d’un produit, rien ne sert de baisser son prix mais l’augmenter le rend plus désirable. Avec le premium médiocre, ce n’est plus le prix qui attire mais l’image : l’habit fait le moine. Bienvenue dans le monde du superflu et de l’illusion. Comme l’écrit le philosophe mexicain Santiago Espinosa dans le Traité des apparences : « Ce qui ne se perçoit pas n’existe pas. »