Ce billet est une adaptation de l’article de Paul Boag (titre original : « 10 Harsh Truths About Corporate Websites ») publié sur Smashing Magazine au mois de février dernier. Nathalie Beauchamp a pris en charge la traduction, je me suis quant à moi permis d’adapter légèrement les propos en fonction de ma propre expérience.
La plupart des clients avec lesquels je travaille sont de grandes organisations : universités, grandes œuvres caritatives, institutions du secteur public et grands comptes.
Au cours des 7 dernières années, j’ai remarqué certaines erreurs récurrentes commises par ces structures.
Ce billet a pour but de dissiper les illusions et encourager les décideurs à faire face aux difficultés que leur entreprise ou leur marque peut rencontrer sur le Net et de les aider à ne pas commettre les principales erreurs que l’on retrouve communément sur les sites Web corporate.
Les 10 commandements :
1. Vous avez besoin d’un service Web dédié
Dans de nombreuses sociétés, le site Web est géré soit par le département Marketing soit par les DSI (Directions des Systèmes d’Informations). Cette situation conduit inévitablement à une guerre de tranchées entre services dont la victime est invariablement le site Web !
Dans la réalité, la poursuite d’une stratégie Web efficace ne devrait pas concerner ces deux services.
Les DSI excellent dans la réalisation de projets informatiques complexes, mais ne sont pas familières avec les notions d’expérience utilisateur conviviale ou de valorisation de l’image de marque en ligne.
Le Marketing en revanche, est un peu plus compétent sur ces notions, mais comme le souligne Jeffrey Zeldman dans son article « Let there be Web divisions » cela reste très insuffisant :
« Le Web est une conversation. Le Marketing, en revanche, est synonyme de monologue … Et puis, il y a tous ces éléments confusants que sont le marquage sémantique, les CSS, les scripts, le HTML, l’implication des utilisateurs dans l’accessibilité, tout cela requiert des compétences et de l’expérience qui ne sont pas du ressort de marketing. »
C’est pourquoi, le site doit être géré par une équipe Web dédiée. Encore une fois, Zeldman le résume parfaitement quand il écrit :
« Créez une division qui fera que votre site ne sera pas une déclinaison de vos plaquettes, ni le prolongement naturel de votre groupware ».
Une division Web dédiée permet de s’affranchir des lacunes du marketing lorsqu’il s’agit d’informatique, et inversement, des lacunes de la DSI lorsqu’il s’agit de marketing et de communication.
De plus, la présence sur le Net est devenu aujourd’hui un enjeu majeure pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. La seule réponse sérieuse face à cet enjeu est bien de créer un pôle stratégique dédié à la construction et à la valorisation de la marque sur le Net.
Ce département Web pourra être staffé d’une ou plusieurs personnes en fonction de la taille de l’entreprise avec des compétences fortement orientées Internet (un spécialiste du « marketing print » ne sera d’aucune utilité, pas plus d’ailleurs qu’un spécialiste des systèmes informatiques lourds).
2. La gestion de votre site Web doit être une activité à part entière
Non seulement le site Web est souvent divisé entre le Marketing et la DSI, mais il est aussi le plus souvent sous staffé. Au lieu d’être géré par une équipe Web dédiée, les responsables ont en charge la gestion du site en plus de leur propre activité. Quand une « Web Team » est en place, elle est souvent très sollicitée. La plus grande partie de son temps est ainsi consacré à la maintenance quotidienne plutôt qu’à une réflexion stratégique long terme.
Cette situation est encore aggravée par le fait que les personnes en charge du site sont souvent juniors. Elles n’ont ni l’expérience ni l’autorité pour faire évoluer le site. Il est temps pour les entreprises d’investir sérieusement dans leurs sites Web en recrutant des responsables ayant un réel pouvoir décisionnel afin d’engager une véritable stratégie Web.
3. Une refonte graphique périodique n’est pas suffisante
Parce que les sites Web sont souvent sous financés, ils sont généralement négligés sur le long terme. Les contenus, le design et la technologie deviennent peu à peu obsolètes.
Finalement, le site véhicule une image totalement dépassée voir négative de l’entreprise. Le management se réveille et demande à ce que le problème soit rapidement réglé. Le résultat se traduit généralement par une refonte complète ce qui entraîne des dépenses considérables.
Comme je le souligne dans Website Owner Manuel, il s’agit bien évidemment d’une mauvaise approche. C’est un gaspillage d’argent car lorsque le site est remplacé, l’investissement réalisé par le passé est totalement perdu. Il n’y a aucun retour sur investissement et ceci est d’autant plus dramatique que la même erreur se reproduit tous les 2 à 3 ans.
Cameron Moll encourage les concepteurs de sites Web à repositionner les sites plutôt que simplement les refondre.
Une meilleure approche consiste à investir régulièrement dans votre site Internet afin de le faire évoluer au fil du temps. Non seulement cette méthode s’avère plus économique mais c’est aussi préférable pour les visiteurs, comme l’a souligné Cameron Moll dans son billet Good Designers Redesign, Great Designers Realign.
4. Votre site Web ne peut pas s’adresser à tous les publics
Une des premières questions que je pose à mes clients est « quel est votre public cible ?« . Je suis toujours surpris par la longueur de la réponse. Très souvent, il s’agit d’une liste interminable de divers profils très détaillés. Inévitablement, ma seconde question est : « lequel de ces groupes est le plus important ? ». La réponse est généralement qu’ils sont tous aussi importants.
La vérité est que si vous concevez un site Web pour tous, il ne répondra à personne ! Il est essentiel d’être centré sur votre audience clé et d’adapter en conséquence votre design et votre contenu. Est-ce que cela signifie que vous ignorez pour autant les autres utilisateurs ? Pas du tout. Votre site Web doit être accessible à tous et n’offenser ni exclure qui que ce soit. Néanmoins, le site doit être positionné vis-à-vis d’un public clairement identifié.
5. Arrêtez de gaspiller votre argent sur les réseaux sociaux
Je trouve encourageant que les responsables de sites prennent conscience qu’une stratégie Web ne se limite pas à la simple gestion d’un site Web corporate. Ils commencent à utiliser des outils tels que Twitter, Facebook et YouTube afin d’augmenter leur visibilité et atteindre plus d’audience.
Malheureusement l’utilisation qui est faite des médias sociaux est souvent peu judicieuse. Tweeter sur un compte corporate avec un discours corporate ou mettre des démonstrations produits trop commerciales sur YouTube ne cadre pas avec l’esprit de ces réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux sont utilisés par des individus pour communiquer entre eux. Ces médias n’ont pas vocation à établir des relations entre des marques et des personnes. Trop de sociétés dépensent des sommes considérables sur Facebook ou dans la création de vidéos virales alors qu’elles pourraient utiliser ces budgets à engager une communication adaptée aux attentes de leur public sur ces médias.
Au lieu de créer un Twitter corporate voir même un blog d’entreprise, encouragez vos collaborateurs à tweeter et bloguer eux-mêmes. Indiquez-leur les règles à respecter, donnez-leur les outils dont ils ont besoin pour engager un échange durable avec la communauté utilisatrice de vos produits et services. Cela démontrera non seulement votre engagement en faveur de la communauté, mais valorisera également le côté humain de votre business.
6. Votre site n’est pas fait pour plaire au DG
Alors que certains responsables Web souhaitent que leur site s’adresse à tout le monde, d’autres ignorent totalement les besoins de leurs visiteurs ! Ceci est typique lorsqu’il n’y a aucune réflexion approfondie sur l’audience que l’on souhaite toucher. Dans ce cas, le site Web devient une pale copie de l’organisation de la société. Cela se manifeste très clairement par une conception inappropriée qui correspond aux préférences personnelles du DG et un contenu bourré de jargon propre à l’entreprise.
Un site web ne doit pas être aux goûts des collaborateurs, mais plutôt répondre aux attentes des utilisateurs. Un trop grand nombre de pistes graphiques sont rejetées parce que le patron « n’aime pas le vert ». De même, trop de pages Web contiennent des acronymes et termes complexes spécifiques au métier de l’entreprise.
7. Vous n’utilisez pas votre équipe Web à sa juste valeur
Qu’elles aient une équipe Web intégrée ou une agence Web externe, de nombreuses entreprises ne parviennent pas à tirer le meilleur parti de leurs équipes Web. Les webdesigners sont bien plus que des « manipulateurs » (pusher) de pixels. Ils ont une connaissance pointue du Web et savent comment se comportent les utilisateurs. Ils maîtrisent aussi les techniques de conception, l’architecture Web, les feuilles de style, les règles de colorimétrie et bien plus encore.
C’est sous-utiliser leurs expertises que de demander à l’équipe Web de « faire un plus gros logo » ou de « le déplacer de 3 pixels vers la gauche. » En agissant ainsi, vous réduisez leur rôle à celui d’exécutants et vous passez à coté de la richesse de leur expérience.
Si vous voulez obtenir des résultats satisfaisants de la part de votre équipe Web, présentez-lui les problèmes, pas les solutions. Par exemple, si vous ciblez des adolescentes, et que votre concepteur Web propose un bleu corporate, rappelez-lui que votre cible ne sera pas réceptive à cette couleur. Ne lui dites pas de mettre du rose. Ainsi, le designer trouvera de lui-même une solution qui pourrait finalement être mieux que celle que vous avez proposé. Vous permettez ainsi à votre designer de résoudre le problème que vous avez identifié.
Ce point est également valable lorsqu’une entreprise passe par son agence de communication traditionnelle qui elle même sous-traite la réalisation. L’agence traditionnelle n’écoute généralement pas les conseils de son sous-traitant spécialiste du Web et préfère partir sur des conceptions qui répondent plus à « des normes print » qu’Internet.
Ceci est en plus renforcé par le fait que le client est généralement plus habitué au print. L’agence Web sous-traitante est alors obligé de réaliser des conceptions qu’elle sait pertinemment ne pas être viable à moyen terme. Je renvoie ici au point 1 « Vous avez besoin d’un service Web dédié« .
8. Les validations collégiales sont synonymes d’échec
Les grandes entreprises organisent toujours leur management de sites Web sous forme de comités. Ces derniers ont pour rôle de superviser la réalisation du site tout en permettant à chacun de s’exprimer et en veillant que toutes les considérations soient prises en compte. Dire que toutes les commissions sont utiles serait naïf, et proposer qu’un site corporate puisse être élaboré sans consultation par un comité serait irréaliste. Toutefois, quand on atteint la phase de design graphique, les commissions sont souvent « mortelles ».
Le design est subjectif. La manière dont nous réagissons à un graphisme peut être influencée par la culture, le sexe, l’âge, l’enfance, et même les aptitudes physiques (telles que la perception erronée des couleurs). Le même design peut être adoré par une personne et détesté par une autre. C’est pourquoi il est si important que les décisions concernant la partie graphique soient prises en fonction de l’utilisabilité (tests utilisateurs à l’appui) plutôt que sur la base de perceptions personnelles. Malheureusement, cette approche est rarement possible lorsqu’une commission est impliquée dans les décisions graphiques.
La conception Web effectuée par une commission est faite de compromis. Parce que les membres ont des opinions différentes, ils cherchent les moyens de trouver un terrain d’entente commun. Une personne déteste les couleurs bleues, tandis que l’autre adore. Cela conduit à une conception « à la volée », la commission chargeant le concepteur d’essayer « un autre bleu » dans l’espoir de trouver un compromis. Malheureusement, cela ne conduit qu’à obtenir un design fade qui finalement ne séduit personne.
9. N’attendez pas de miracle de votre CMS
Beaucoup de clients avec lesquels je travaille ont des attentes irréalistes concernant les CMS (outils de gestion de contenu).
Il est vrai qu’un CMS apporte de nombreux avantages, parmi lesquels :
- L’ajout de contenus sans trop d’obstacles techniques,
- Possibilité pour plusieurs personnes d’ajouter et modifier les contenus,
- Permet une actualisation rapide des contenus,
- …
Toutefois, la plupart des CMS sont beaucoup moins adaptables que les responsables de sites Web le voudraient. Ils souhaiteraient que le CMS répondent à toutes les fonctionnalités possibles et imaginables, mais ils se plaignent ensuite qu’il est trop complexe à utiliser. Très souvent, cette complexité est aussi accrue par le fait que la formation à l’outil a été insuffisante ou que l’utilisation du CMS est sporadique.
Enfin, de nombreux sites Web utilisant un CMS ne présentent pas pour autant un contenu à jour et bien écrit. L’origine provient de l’organisation interne qui n’a pas été mise en place pour faciliter la tâche des contributeurs aux contenus.
Si vous recherchez comme seule solution un CMS pour résoudre les questions de maintenance de votre site, vous serez déçu.
Le seul réel avantage d’un CMS est de permettre de mieux structurer son contenu (que la page A ressemble à la page B qui elle même ressemble à la page C… afin de donner des repères aux lecteurs). C’est d’ailleurs aussi le premier reproche que feront les utilisateurs qui seront frustrés de ne pas pouvoir mettre en bleu, vert ou violet le texte de leur choix alors que cela n’est absolument pas prévu par la charte graphique.
Une fois encore, si vous souhaitez réussir votre présence sur le Web, relisez attentivement les points 1, 2 et 3 de ce présent document.
10. Vous avez un contenu trop important
Un des problèmes auxquels doivent faire face les grandes entreprises est l’excès de contenus. La plupart des sites Web corporate ont « évolué » depuis des années, et de plus en plus de contenus ont été amassés sans que personne ne se pose réellement la question de savoir ce qui pourrait être supprimé.
Beaucoup de responsables Web mettent en ligne sur leur site des informations que personne ne lira. Et ceci pour les raisons suivantes :
- La peur de passer à côté de quelque chose : en mettant tout en ligne, ils pensent que les utilisateurs seront en mesure de trouver ce qu’ils veulent. Malheureusement, lorsqu’il y a surcharge d’informations, il devient difficile de trouver quoi que ce soit.
- La peur que les utilisateurs ne comprennent pas : en raison d’un manque de confiance dans leur site Web ou dans leurs publics, ils ressentent la nécessité de fournir aux internautes des indications sans fin. Malheureusement, les utilisateurs attendent sur le Web précision et concision.
- Une volonté désespérée de convaincre : ils sont prêts à tout pour vendre leurs produits ou véhiculer leur message, ils gonflent donc leurs contenus de pages commerciales qui sont en fait d’une valeur négligeable pour l’internaute.
- La peur de dire non : chacun dans l’entreprise veut que son contenu soit publié sur le site Web, et si possible sur la page d’accueil ! On ne publie plus des informations censées intéresser le lecteur, on publie des informations parce que cela valorise son auteur au sein de l’entreprise.
Steve Krug, dans son livre « Don’t Make Me Think« , encourage les responsables de sites à « se débarrasser de la moitié des mots sur chaque page, puis se débarrasser de la moitié de ce qui reste ». Cela permettra de réduire le « bruit » sur chaque page et valoriser le contenu utile.
Conclusion
La résolution de ces problèmes vous obligera à reconnaître et à accepter les erreurs commises, à surmonter les freins de la politique interne et certainement à changer la manière dont vous contrôlez votre image de marque sur le Web. Cela vous donnera alors un avantage concurrentiel important et rendra votre stratégie Web plus efficaces sur le long terme.
A propos de l’auteur
Paul Boag est le fondateur de l’agence de Web design britannique Headscape, il est également l’auteur de « Website Owner’s Manual » et anime Boagworld.com le podcast primé du Web design.