« Le marketing et son histoire » – interview de Thierry Maillet

« Le marketing et son histoire » de Thierry Maillet vient de paraître aux éditions Pocket Agora. A cette occasion, Thierry a bien voulu répondre à quelques questions.

Je retranscris ici notre échange.


Crédit photo ©Laurent Humbert

ST : Bonjour Thierry

TM : Bonjour Stéphane,

ST : Ecrire un ouvrage sur l’histoire du marketing est une excellente idée. Personne ne l’avait eu avant toi ?

TM : Si, en France, un excellent sociologue, Franck Cochoy, avait fait sa thèse sur l’histoire de l’élaboration de la discipline du marketing au sein des universités américaines et son lien avec la pratique. La proposition de l’universitaire fut de considérer le marketing comme la discipline de la médiation.

A ma connaissance cet ouvrage rédigé par un sociologue et maintenant épuisé (L’histoire du marketing, La Découverte, 1999) est le seul qui traite de la dimension historique du marketing.

De manière assez surprenante ce sujet n’a jamais intéressé les historiens et les spécialistes de la discipline l’abordent de manière marginale.

Dans les principaux recueils de marketing français comme étrangers (essentiellement américains) l’histoire du marketing occupe trois à cinq pages d’introduction et guère plus.

ST : Comment expliques-tu cela ?

TM : Je crois que l’histoire du marketing occupe une sorte d’angle mort : les spécialistes du marketing connaissent mal leur histoire et préfèrent expliciter l’actualité plutôt que chercher à expliciter les enchaînements historiques. A l’opposé pour les historiens cette dimension n’a jamais été jugée intéressante et d’ailleurs le premier à s’emparer du sujet en France fut significativement un sociologue et non un historien à proprement parler.

ST : Pourquoi cette volonté de se pencher sur l’histoire du marketing ?

TM : Jusqu’en 2003 j’ai exercé en tant que dirigeant d’une entreprise de conseil marketing et j’avais toujours été frappé par l’incroyable méconnaissance des directions marketing sur l’histoire de leur entreprise, des réussites et échecs les plus marquants de leur secteur. Or chaque réunion marketing ne cessait de faire appel au passé sans jamais qu’il soit connu et encore moins compris.

Depuis 2003,  j’ai souhaité m’impliquer dans la recherche historique du marketing et plus généralement des entreprises dites de médiation comme les bureaux de style qui sont l’objet central de ma thèse en cours à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris.

Lorsqu’en 2006 j’avais publié Génération Participation, j’essayais déjà de montrer que cette nouvelle forme de vie en société qui allait croître de manière certaine dans les pays développés, s’appuyait sur une tendance de fond dont je situais les prémices dans la société de consommation de l’après deuxième guerre mondiale. Ma façon de travailler est de chercher à relier les évènements les plus actuels, voire prospectifs dans une forme de continuum qui puise ses sources dans notre passé. Je ne sais si cette méthode est la plus juste mais elle me paraît assez adéquate dans la compréhension des relations entre les entreprises et les consommateurs.

ST : Il va falloir désormais t’appeler le « Schumpeter du marketing » 😉 ?

TM : C’est très gentil à toi cher Stéphane mais cela me paraît bien osé et présomptueux. Je préfère décliner l’offre si tu veux bien.

ST : Plus sérieusement, le marketing vise à proposer des produits ou services conformes aux attentes des consommateurs. Alors que ces attentes étaient autrefois assez faciles à cerner, elles sont aujourd’hui totalement atomisées. Finalement, le marketing n’est-il pas complètement dépassé de nos jours ?

TM : A mon tour de ne pas être d’accord : non “les attentes n’étaient pas plus faciles à cerner” car si tu peux dire cela avec les outils d’aujourd’hui, les premiers “marketeurs “ disons après la deuxième guerre mondiale travaillaient avec une faible connaissance des consommateurs. Le premier institut d’études de marché, l’IFOP, est créé en 1938 et les premières mesures d’audience des médias sont proposées à compter des années 1950.

Autant dire que la quantité des informations disponibles était faible et la dispersion des français (nous dirions de manière très politically correct, la diversité) était élevée. Après-guerre, les patois étaient encore très parlés et les différences de comportement prononcées. Et puis exporter était beaucoup plus compliqué qu’aujourd’hui.

De manière beaucoup plus prosaïque le marketing a été, est et sera toujours une activité compliquée car  en lien avec le décryptage de la société qui est par essence complexe.

Il ne faut jamais oublier que le taux d’échec des lancements de nouveaux produits de grande consommation est stable, soit autour de 80 à 90% et cela malgré les montants toujours plus élevés investis dans les études de marché. La raison de cette stabilité trouve son explication dans l’éducation du consommateur qui évolue au même rythme que les entreprises.

Quand vous lancez un nouveau service, avant-hier les sites, hier les blogs, aujourd’hui les réseaux sociaux et twitter, les consommateurs apprennent au même rythme et donc lorsque les entreprises, justement conseillées par des agences conseils comme Kinoa souhaitent profiter de ces nouveautés, les consommateurs sont déjà au courant et l’effort marketing est donc stable.

ST : Tu as été le premier a conceptualiser la notion d’un « consommateur acteur ». Avec Internet et les médias sociaux notamment, les consommateurs peuvent librement s’exprimer, critiquer, participer, s’influencer… En quoi cela impacte le marketing ?

TM : En 2001 j’avais proposé l’idée du “consom’acteur” car je voyais que les produits proposés faisaient une utilisation croissante des nouvelles technologies ce qui entraînait un recours croissant à l’implication du consommateur ou dis-autrement à son action.

Depuis le milieu de la décennie la capacité des consommateurs à donner leur point de vue a déjà eu et va continuer à avoir un impact certain sur l’organisation interne des entreprises. Comment recueillir cette information, comment la gérer, la décrypter, comment lui répondre, autant de questions qui se posent aux départements marketing des entreprises.

L’évolution de la discipline ne viendra pas de l’extérieur mais bien au contraire de l’interne et des organisations elles-mêmes.

ST : D’un point de vue technologique, les produits deviennent de plus en plus complexes. Bien souvent les usages prévus par les marques pour leurs produits sont détournés par les consommateurs. N’est-ce pas là encore une preuve des limites du marketing ?

TM : Non, comment le marketing pourrait-il tout prévoir. Hier le cas était identique : quand Renault lance sa Twingo le positionnement est “les jeunes urbains” or la voiture sera majoritairement achetée par les seniors ruraux.

Dans les années 1950 les promoteurs de la cigarette Marlboro pensaient initialement la vendre aux femmes urbaines avant de rectifier le tir avec l’image du cow-boy et de l’évasion pour un public de “mâles”, souvent urbains mais qui se rêvaient en partance vers l’aventure, à cheval vers le “Wild West”.

ST : Maintenant que tu as écrit l’histoire du marketing, vas-tu te lancer dans le « futur du marketing » ? D’ailleurs, à ton avis quel serait ce futur ?

TM : Ma réflexion actuelle est que l’avenir du marketing sera clairement défini par la forme que prendront les organisations pour imaginer leurs relations avec leurs clients et consommateurs. Je suis frappé de voir qu’il existe dans les entreprises des réserves de productivité importantes dont elles profiteront en modifiant leur méthode de travail.

Les départements marketing continuent encore à fonctionner selon le modèle proctérien qui date des années 1930 : une structure très hiérarchisée du chef de produit au directeur marketing, dans un silo, le marketing, qui ne dialogue qu’aux niveaux les plus élevés dans ces trop fameuses réunions de coordination. C’est dans cette perspective qu’il faut travailler et imaginer le marketing de demain avec les outils magnifiques dont il dispose aujourd’hui (réseaux sociaux, blogs, twitters, ….).

ST : Quels sont pour toi les blogs sur le marketing qui sont à suivre actuellement ?

TM : Ta question est difficile car le marketing est abordé de manière descriptive par Gregory Pouy, de manière commerciale sur le buzz par Emmanuel Vivier, de manière interprétative par tes soins, de manière irrévérencieuse par François Laurent avec marketingisdead, voire réflexive avec Marketing & Innovation.

Dès lors la qualité des blogs ne cesse de croître car chacun a bien compris comment les utiliser dans une perspective de plus en plus commerciale, reconnaissons-le.

D’ailleurs le très faible nombre d’enseignants à délivrer un blog régulier et interrogateur est assez révélateur de l’approche de plus en plus professionnelle de l’affaire. Votre modèle à tous est bien sûr Seth Godin qui en a fait une plate-forme de vente (avec succès) bien plus qu’un lieu de débat et de réflexions. Pourquoi pas mais ne nous trompons pas sur l’orientation actuelle de ces outils.

C’est aussi pourquoi je cherche à conserver un ton un peu décalé : pas de billet sponsorisé, pas de publicité, pas de liens commerciaux pour ne pas risquer cette “pollution commerciale” permets-moi cette audace et ainsi toujours conserver volontairement une prise de hauteur et un détachement sur la pratique du marketing.

ST : Tu n’es pas sur Twitter, pourquoi ?

TM : C’est aussi pour cela (peut-être à tort je ne demande qu’à être convaincu) que je n’utilise pas Twitter. Je veux conserver le temps de la réflexion, du temps long qu’exige la recherche. Je suis assez d’accord avec la théorie née aux Etats-Unis qui dit que la multiplication des supports ne facilite pas la lecture au temps long et la réflexion qui l’accompagne.
Suis-je déjà vieux ?

ST : Quels sont tes prochains projets ?

TM : Mon principal projet est clairement de terminer mon travail de recherche, j’espère soutenir ma thèse sur les bureaux de style en 2011. Cela sera la fin d’une merveilleuse aventure.

Ensuite de poursuivre ce travail d’historicisation du marketing et plus largement de donner accès aux gens de l’entreprise à la recherche historique dont ils ont tout à gagner et qu’ils négligent trop souvent, bien plus par méconnaissance d’ailleurs.

ST : Nous venons de lancer un nouveau site Internet : « zededicace.com« . Ce site permet d’acheter des ouvrages dédicacés personnellement par leur auteur. Que penses-tu de ce nouveau service ?

TM : Beaucoup de bien si vous devenez l’Interflora du livre et si vous donnez aux éditeurs une occasion de rapprocher auteurs et lecteurs, c’est très malin. Mais attention de ne pas faire semblant; il peut m’être difficile d’écrire cent fois de suite un mot manuscrit détaché du contexte du demandeur. Une dédicace c’est aussi l’occasion d’une rencontre, un contact physique, un échange. A vous de l’imaginer avec les nouveaux outils de communication.

ST : Merci !

Si vous souhaitez faire dédicacer l’ouvrage de Thierry Maillet, vous pouvez vous rendre sur Zedédicace !

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